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Under Thin Ice : Q/R avec Jill Heinerth

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mars 24, 2020

Pour remplacer la projection que l’ambassade du Canada avait prévue dans le cadre du DC Environmental Film Festival, Under Thin Ice est actuellement offert en visionnement gratuit dans le cadre d’un festival en ligne qui se tient du 17 au 31 mars 2020. Le film raconte une expédition extraordinaire entreprise par les plongeurs et cinéastes canadiens de l’extrême Jill Heinerth et Mario Cyr pour étudier comment la faune de l’Arctique s’adapte à la crise climatique. Le film entraîne les téléspectateurs dans un monde sous-marin majestueux qui est menacé par la disparition de la glace.

Jill Heinerth a plus de trente ans d’expérience en tournage, photographie et exploration à travers le monde pour le compte du National Geographic, de la NOAA et de divers établissements d’enseignement et réseaux de télévision du monde entier dans le cadre de projets se déroulant dans des grottes submergées. Elle est la première exploratrice en résidence de la Société géographique royale du Canada, récipiendaire de la prestigieuse médaille polaire du Canada et de la plus haute distinction mondiale décernée par la NOGI, l’Académie des arts et des sciences sous-marines.
Mme Heinerth a pris le temps de répondre à quelques questions sur ses expériences et observations qui documentent les changements rapides dans l’Arctique.

Q: Comment avez-vous été amenée à exercer ce type de métier? J’imagine que « nager avec des ours polaires » ne figure pas sur la liste des possibilités de carrière de tout le monde. À quels défis avez-vous été confrontée et comment encourageriez-vous d’autres scientifiques en herbe, en particulier les jeunes filles, à poursuivre dans ce domaine?

R: C’est un peu une longue histoire. Enfant, je voulais être exploratrice. Faisant partie de la génération des années 60, pour moi, cela voulait dire à peu près être astronaute. Comme il n’y avait pas de programme spatial canadien et pas de femmes astronautes, on m’a encouragée à trouver un autre objectif. J’ai toujours été curieuse et aventurière, j’ai toujours aimé apprendre de nouvelles choses et désiré collaborer avec les autres pour « réaliser l’impossible ». Après avoir économisé mon argent pendant près de dix ans, j’ai finalement suivi un cours de plongée et constaté que j’avais trouvé « mon élément ».

Ma première carrière dans la vie a été de travailler comme graphiste puis de devenir propriétaire d’une agence de publicité. En guise de passe-temps, j’étais instructrice de plongée à temps partiel, et c’est alors que j’ai décidé de changer ma vie du tout au tout. J’ai juré de trouver un moyen d’être créative sous l’eau plutôt qu’à une table à dessin. Trente années se sont écoulées depuis cette révélation, et elles ont donné lieu à une carrière hybride de plongée, d’écriture, de réalisation de films, de photographies et de collaboration avec des ingénieurs et des scientifiques de partout dans le monde.

Q: Comme vous le mentionnez dans le film, Lancaster Sound est maintenant la plus grande aire marine de conservation au Canada. Pourquoi des programmes comme la désignation d’aire marine nationale de conservation (AMNC) de Parcs Canada sont-ils si importants pour les riches écosystèmes de l’Arctique, et comment ces désignations appuient-elles la conservation de la région?

R: L’Arctique subit des changements plus rapidement que tout autre endroit sur terre. Au fur et à mesure du réchauffement, la faune sauvage, la population indigène et le moteur du climat mondial affrontent des défis. Nous devons protéger ces endroits contre d’autres dommages, de façon à mettre l’environnement naturel en réserve sans le piller. Si nous pouvions convenir d’un traité de protection comme le MAPS (Marine Arctic Peace Sanctuary), qui est semblable au Traité sur l’Antarctique, cela profiterait à la population mondiale. L’exploitation des ressources dans le Nord est également une grande préoccupation. Aucune infrastructure n’est prête à faire face à un déversement d’hydrocarbures ou à une restauration minière.

Q: Under Thin Ice présente explicitement des interactions avec des gens du Nord, ainsi qu’avec la nature et les paysages. Pourquoi cela était-il un aspect important pour vous et les producteurs?

R: Pour moi, les gens, la faune et les paysages du Nord sont une seule et même entité vivante et dynamique. Ils sont interreliés d’une manière que nous pouvons à peine comprendre. Quand je parle à des aînés inuits, je suis frappée par leur grâce et leur résilience. D’une certaine manière, on peut dire qu’ils supportent le poids des problèmes de pollution et de changement climatique qui sont principalement dus à des facteurs ayant commencé loin de chez eux, alors qu’ils subissent les conséquences les plus immédiates de ces actions. Ils se tiennent prêts tant bien que mal à s’adapter. Les connaissances traditionnelles de nos ancêtres inuits sont incommensurables. Ils ont beaucoup à nous apprendre sur la façon de vivre de manière respectueuse et durable dans des conditions difficiles.

Q: En se fondant sur votre temps passé à travailler avec les communautés inuites, quels sont, selon vous, les défis et les changements que les communautés ont dû faire, à la fois pour répondre aux changements climatiques et pour continuer à répondre à leurs besoins économiques? Pourquoi les programmes et discussions sur la conservation des habitats, dirigés par les autochtones, sont-ils si importants?

R: Les peuples autochtones avec lesquels j’ai travaillé affrontent l’enjeu de la déperdition de la glace de mer. Pour eux, la glace de mer c’est « la terre ». La glace de mer relie les communautés et les familles, elle offre un endroit pour chasser et trouver la nourriture traditionnelle, et elle rassemble leur cellule familiale, alors que ses membres travaillent ensemble à chasser et à accomplir les pratiques traditionnelles. En regardant vers l’avenir, ils voient une existence axée davantage sur la mer. Les motoneiges seront remplacées par des bateaux, mais que mangeront-ils? Le moratoire sur le caribou présentait un défi qui les a fait se sentir faibles, tant physiquement que spirituellement. Que se passera-t-il s’ils ne peuvent pas se procurer suffisamment de phoque, de béluga ou d’autres aliments traditionnels? Les coûts des aliments importés sont astronomiques, et ce qui est envoyé au Nord n’est pas très sain.

Les programmes de conservation des habitats dirigés par les autochtones aident les autres à découvrir leurs méthodes traditionnelles. Je suis peut-être principalement végétarienne quand je suis à la maison, mais je comprends que leur alimentation se base sur ce qui leur est disponible et sur ce qui les garde heureux et en santé. Je sais que certaines personnes sont horrifiées en imaginant que quelqu’un tue un phoque pour se nourrir, mais elles se sentiraient différemment si elles vivaient une immersion dans l’expérience inuite. Elles verraient un peuple qui respecte l’équilibre de la nature et qui comprend que la protection de ce réseau alimentaire est essentielle à la survie.

Parler avec les dirigeants des communautés du Nord et constater les défis auxquels ils sont confrontés aidera à élargir un public plus empathique et informé. Nous devons tous imaginer ce que serait notre vie sans source d’eau potable ou avec du café qui coûte 41 $ le contenant.

Q: Avez-vous établi d’autres rapports surprenants entre les communautés de l’Arctique et le travail sur les changements climatiques qui est en cours au Canada et dans le monde?

R: Je crois que ma plus grande révélation concerne la mesure avec laquelle le moment des migrations est perturbé au fur et à mesure que l’eau se réchauffe. Puisque les baleines à bosse et les baleines boréales arrivent en même temps dans l’Arctique (il y avait auparavant un décalage de quelques semaines), nous nous demandons si elles vont trop manger et épuiser les stocks de nourriture sans qu’il y ait un temps de renouvellement. Ce n’est là qu’un exemple du fait que nous savons très peu de choses sur la façon dont tout cela va se dérouler. Un Arctique qui se réchauffe s’adaptera-t-il au réchauffement et à l’acidification rapides des océans? C’est douteux, mais nous ne savons toujours pas comment cela changera d’année en année et quelles espèces disparaîtront en premier.

Q: Le film couvre un certain nombre d’impacts importants et interreliés sur la faune. Il fournit également des détails sur le problème des algues qui poussent sur la glace. Avez-vous été témoin d’autres impacts sur la végétation dans l’Arctique?

R: J’ai observé un verdissement des pentes dans le Nord. Quand je remonte la côte du Labrador, je constate que la verdure pousse plus haut sur le versant ensoleillé des montagnes, alors que cette terre était auparavant stérile. D’année en année, c’est manifeste. Je m’inquiète de la terraformation de l’Arctique, et ce, avant même que la faune puisse s’adapter. C’est la rapidité qui me fait le plus peur.

Q: Bien que certaines espèces présentées n’existent que dans l’Arctique, l’extrême nord abrite de nombreuses espèces migratrices. Dans Under Thin Ice, vous mettez en évidence les répercussions sur la reproduction des oiseaux migrateurs de l’Arctique – le fait que les ours polaires affamés ont détruit 80 % de certaines colonies d’oiseaux. Mais de nombreuses menaces auxquelles sont confrontées ces colonies d’oiseaux migrateurs proviennent de l’extérieur de l’Arctique. Avez-vous des réflexions sur les domaines clés de collaboration internationale pour protéger les espèces migratrices?

R: Wow. C’est une grande question pour laquelle je ne pense pas être préparée à répondre sur le plan scientifique. En tant qu’exploratrice/réalisatrice/journaliste, je vois beaucoup de choses que je documente dans l’espoir que d’autres scientifiques/collaborateurs auront les réponses. J’ai vu des ours polaires piller des nids d’oiseaux. J’ai également vécu les défis de trouver des espèces particulières d’animaux et d’oiseaux qui étaient auparavant faciles à trouver.

Nous nous trouvons à un tournant de l’histoire. Beaucoup de gros problèmes se présentent à nous – changement climatique, protection des ressources en eau, maladies infectieuses et limites de notre planète. Nous avons des délais très courts pour résoudre bon nombre de ces énormes problèmes. Nous n’avons plus le loisir d’utiliser le modèle scientifique traditionnel pour la découverte, la recherche et la publication scientifique. Je soutiens toujours la science examinée par des pairs, mais nous avons besoin d’une armée de scientifiques citoyens/collaborateurs pour aider à recueillir des preuves, à réfléchir et à prendre des mesures sensées pour un avenir meilleur. On ne peut souffrir de retard. J’espère que ma contribution à cette cause sera de continuer à recueillir des données et des images et à raconter des histoires qui stimulent la science et l’action.

Voir le film ICI 

Mot de passe pour la visualisation du festival en ligne 2020: Galafilm